Le vénéneux feulement de l’Ethio Punk

Avec un peu de patience – trois ans, un souffle – les rêves se réalisent parfois. Et le désir persistant de revoir sur scène le duo sauvage et beau formé par Etenesh Wassié et Mathieu Sourisseau sera enfin assouvi ce samedi à Bayonne dans le cadre du Bastringue #12. Deuxième date d’une tournée en forme de retrouvailles scéniques pour ce groupe, formé en 2007, qui avait laissé son empreinte âpre et fiévreuse sur les scènes de France et d’Europe.

Ce ne sont pas des inconnus qui viendront samedi faire frissonner les berges du fleuve depuis le Gastetxe Zizpa. L’artiste éthiopienne Etenesh Wassié et le bassiste toulousain Mathieu Sourisseau avaient déjà somptueusement essuyé les plâtres de la première session de ce qui allait devenir le projet Bastringue, mettant tout tranquillement le feu au Txiri Boga dans le Petit Bayonne. Ils s’étaient également produits au cinéma L’Atalante, où le sortilège aussi suave que rageur, ne s’était pas démenti. Deux expériences live puissantes qui décuplent et électrisent aujourd’hui l’attente.

La dernière fois qu’on avait ressenti une émotion en tous points identiques, c’était en 1992 au Bataclan. La toute jeune PJ Harvey avait surgi en scène la guitare en position gun shot et les tripes en bandoulière. Puis tout avait basculé. Plus de temps. Plus d’espace. Plus de références pour faire le malin. L’énergie pure. Le chant sauvage. La puissance de la pulsion de vie. L’ivresse punk-rock à son meilleur. Et une voix unique. Se donner au chant rugueux et sensuel d’Etenesh Wassié est une expérience du même ordre. C’est abdiquer ses repères, le temps d’un set, se rendre à l’évidence de l’inébranlable puissance d’une mélopée jamais loin de la transe, portée, appelée et menée sur des chemins de traverse imprévisibles par la basse acoustique de Mathieu Sourisseau.

Si tous les morceaux de leur répertoire sont des traditionnels éthiopiens azmaris, les voyages proposés par ces deux âmes aux allures de diamants bruts nous épargnent les obligés du circuit touristique balisé. Et, ultime élégance, nous épargnent même les réconfortants ressassements de l’éthio-jazz marketé sauce afro-ambiant. Malaxés, désossés, nourris à nouveau d’influences free, noise-rock, voire franchement punk, les quatre modes musicaux éthiopiens (ambassel, bati, tezeta et anchihoy) y brillent d’une essence neuve, lueurs archétypiques irréductibles. Des lueurs aussi inattendues et enivrantes que cette séquence inouïe de Royal Bonbon de Charles Najman où c’est l’ostinato du Fireflies de Patti Smith qui enveloppe en pleine montagne la transe d’une prêtresse vaudou haïtienne.

La rencontre du duo doit à la fois aux ramifications européennes de la vertigineuse collection « Les Ethiopiques » (30 CD à ce jour) et au caractère aventureux et déterminé d’Etenesh Wassié. Si l’univers des azamri bet, les cabarets traditionnels, tend à se réduire comme peau de chagrin dans une Addis-Abeba à la modernité galopante, son chant a su se faire une place dans les nouveaux clubs et parmi les jeunes musiciens. Sa voix aux fêlures uniques, ses envolées, sa maîtrise du spoken word et ses techniques exogènes y occupent un statut à part : celui de celle qui part et revient avec des sonorités et des audaces inédites. La réécoute en apnée de leur unique album « Belo Belo » (Buda Musique) enfonce le clou : Etenesh est de ces louves qu’aucune meute ne pourra prendre sous son aile. Elle est l’aile. Elle est l’oiseau. Mathieu le vent qui porte les envols et fait dériver les migrateurs d’un continent à l’autre dans un trajet halluciné.

Trois ans après leur dernier concert sur le continent européen, entre Addis-Abeba et Toulouse, les distances se sont de nouveau réduites, peu importe comment, un avion peut-être… Ou le désir de musique qui a infusé assez longtemps pour devenir impérieux, impossible à réduire au silence, à remettre à demain. On ne saura pas à quel instant le bouillonnement et l’envie ont été décisifs. On retiendra égoïstement une seule chose : Etenesh Wassié et Mathieu Sourisseau sont cette semaine en répétition. Et l’on sourit. Tranquille. On les attend.

24 avril 2016 - Eklektika
© photos : Christophe Mevel 

 

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