Aquarius de Kleber Mendonça Filho

(Bien trop) longue élégie à ceux qui ne mordront pas la poussière sans avoir vécu

Présenté en compétition en projection unique au Festival de Biarritz, après être revenu bredouille de Cannes, le 2ème film du Brésilien Kleber Mendonça Filho, Aquarius, est une très longue balade un brin langoureuse, où les promoteurs immobiliers sont sans surprise de sales types et son héroïne bourgeoise, belle et forte, sans surprise une femme bien (ce qui pourrait lui valoir un Prix mérité d’Interprétation ce samedi soir à Biarritz).

Pourquoi cette insidieuse déception venue un peu vous gâcher la fête face à un film annoncé comme « foisonnant », « magnifique », « vibrant », « tourbillonnant », « palpitant », « haletant », et on en passe ? Si ce n’est de se rappeler que la pureté des intentions ne suffit pas à faire taire une certaine forme d’ennui. Cité régulièrement dans les listes des « vrais oubliés de la Croisette », Aquarius porte un récit social engagé sur l’écran, et une histoire particulière en dehors des salles depuis que l’équipe de tournage a gravi les marches cannoises en arborant des pancartes de soutien à Dilma Roussef et dénonçant le coup d’état « démocratique » en cours au Brésil.

Quelques tweets plus tard et buzz numérique aidant, le film est devenu dans son pays d’origine le symbole de la résistance portée par les partisans de la présidente destituée. Peut-être trop applaudi dans les salles pour avoir l’heur de plaire à « ceux qui », son interdiction très contestée aux moins de 18 ans (ramenée à 16 ans) pour scènes sexuelles explicites et son escamotage de la candidature brésilienne pour l’Oscar du meilleur film étranger, achèveront la légende d’un long métrage dont l’avenir commercial passera donc fatalement plutôt par les salles mondiales que par celles de son pays natal.

Rien de plus périlleux que de s’assoir face à un écran avec une injonction morale d’adhésion à un statut pré-acquis de légende. Car la cause est belle et planétairement signifiante : le destin de Clara, sexagénaire aussi immensément attachante et désirable qu’elle est forte et obstinée, est celui de toutes les victimes de la promotion immobilière guerrière. Une guerre d’autant plus belliqueuse et déterminée qu’elle se joue ici sur un front de mer à très haut potentiel. Il s’agit donc de déloger la dernière habitante de l’Aquarius, lui-même dernier immeuble ancien un brin bancal, planté sur le versant bourgeois et flambant neuf de la plage de Recife.

Les cadors véreux de l’immobilier brésilien n’ont sans doute rien à envier à leurs homologues du monde entier lorsqu’il s’agit de planter les crocs dans un bout de planète bankable et de ne plus lâcher. Le pitbull ici, s’appelle Diego, jeune homme de la haute, qui aime à se croire bien élevé, éduqué au business en terres nord-américaines. Mais le pitbull ici, trop jeune peut-être, ne sait pas que le dernier des Mohicans peut prendre le visage d’une femme mûre, pas assez pour être taxée de « vieille folle », et qu’éventuellement, l’Indien ne mourra pas à la fin.

Les méthodes sont dégueulasses. Elles ne sont tristement pas neuves. Ça pourrait être palpitant. Étrangement, ça ne l’est pas. Et celui qui aurait éventuellement passé un moment sur les pas d’un Romain Duris survolté chez Audiard, balançant, pour le compte d’authentiques ordures, des flopées de rats chez de pauvres gens voués à l’expulsion, le sait : notre cœur de battre pourrait bien s’arrêter, rats ou termites, même combat, c’est ainsi que va l’envers d’une partie du monde.

La jolie réussite d’Aquarius serait plutôt ce portrait de femme libre et intouchable. Une survivante. Littéralement. Une Amazone au sein coupé par un cancer 30 ans plus tôt. Ce vide sur la poitrine qu’elle ne laisse à personne la possibilité de même effleurer du doigt. Son éducation, sa culture (elle est critique musicale), ses revenus (elle jouit d’une bonne retraite et possède par ailleurs cinq autres appartements, apprend-on), ses enfants et petits-enfants bien lotis, font d’elle tout sauf une victime.

Clara a d’ailleurs une employée de maison qu’elle affectionne mais qui habite, comme il se doit, de l’autre côté de la ligne d’égouts, côté « populaire » de la plage, et si elle exprime son désir d’acheter l’appartement du dessus, il ne semble pas que ce soit pour loger plus décemment la fidèle bonne. Un mot de la belle-sœur, à propos d’une ancienne employée de maison envolée avec les bijoux de famille, entérine l’ordre des choses : « On les exploite. Elles nous volent de temps en temps. C’est comme ça que ça marche. » Clara est quoiqu’il en soit une femme bien, elle le sait. Son combat contre les destructeurs de souvenirs armés de pelleteuses est juste, c’est une évidence – même si sa fille insiste pour qu’elle encaisse le chèque aubaine et qu’elle abandonne le vétuste Aquarius. « Vintage », corrige Clara.

Mais très vite, on s’intéresse peut-être plus à sa solitude amoureuse, à son érotisme intact, à son désir bouillonnant de vivre qu’à l’immense corruption de l’élite polico-financière brésilienne. Même si ça ne suffit pas complètement à vous emporter non plus et que l’ennui s’invite un peu trop au fil de ces fort longues 2h25. Soyons honnêtes, on ne peut pas complètement tenir rigueur de ces longueurs à un cinéaste masculin qui distille plusieurs scènes de sexe où de fougueux cunnilingus font se pâmer des femmes fortes et en pleine maîtrise d’elles-mêmes et de leur corps. C’est si rare. Où lorsqu’un jeune et splendide prostitué convoqué pour la nuit crache dans sa paume pour se faciliter le travail, l’Amazone invincible repousse sa main et l’enfourche calmement, avec un « ce ne sera pas nécessaire », simple et altier.

Clara est vivante. Divinement vivante. Et comme elle le jette au visage du jeune promoteur, « préfère donner le cancer que l’avoir ». 1980 : dès la première scène, elle introduit dans l’autoradio un morceau de Queen, fraîchement sorti, et qui pourrait bien résumer sa vie entière, Another one bites the dust . C’est un autre qui mordra la poussière. Elle, c’est une certitude, aura vécu.

30 septembre 2016 - Eklektika

 

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