Projet artistique - Lycée Les Eaux Claires - Grenoble - Ibai Hernandorena - 2013
Inselberg - Un paysage dans le paysage
Laisser la trajectoire croiser l’inselberg.
Le contourner ou s’y poser.
Monter, descendre, s’asseoir, s’allonger ou se lover.
S’ancrer, scruter l’ailleurs, la ligne du ciel, ou caresser les courbes de ce monde
dans le monde.
Habiter ce paysage de bois, le pénétrer et le faire sien.
Convoquer le réel comme on jouerait aux explorateurs, le nez sur la carte.
Un peu pour de faux. Un peu pour de vrai.
Et comme dans le conte, dans le poudroiement de la lumière,
s’adosser, tel le géant, à la montagne.
*~*~*~*
A room with a view
Si le roman d’E.M. Foster a été traduit en français par Chambre avec vue, il pourrait bien être transposé aux Eaux Claires en Classe avec vue... C’est en effet la perception éprouvée à travers la fenêtre d’une salle de classe de l’établissement qui a été à l’origine du projet Inselberg : se découpaient d’une vitre à l’autre les immeubles grenoblois, sertis dans un paysage de montagnes verdoyantes et massives, étonnamment proches et nettes.
Cette vision fugace évoquait la naissance même du paysage dans la peinture occidentale, d’abord introduit dans le tableau à travers une fenêtre, depuis un balcon, élément d’arrière-plan souvent miniaturiste... Puis, plus tard, son échappée lente, son glissement hors cadre faisant peu à peu de lui un sujet d’étude à part entière. Un sujet pictural mais aussi géographique, cartographique ou architectural, solidement ancré désormais dans nos représentations mentales.
Depuis le 19 siècle, l’œil a appris à fragmenter ce qu’il voit, créant spontanément des photographies réelles ou imaginaires, cadrant, isolant des portions de nature ou d’espace urbain. Le regard ne traverse plus le monde de manière fluide mais se focalise sur des portions précises, invoquant le beau, le majestueux, le poétique, voire le pittoresque. Ce qui, il y a deux siècles, n’aurait été qu’une chaîne de montagnes, un littoral, un bouquet d’arbres, ou un bâtiment et ses alentours, sans intérêt esthétique intrinsèque est aujourd’hui partie intégrante du regard contemporain. De genre pictural, le paysage serait presque devenu substance.
Inselberg : le paysage entre les mains
Grenoble, par son implantation géographique, est un festin pour l’œil avide d’émotions paysagères et le lycée les Eaux Claires offre son lot de vues urbaines et alpines. En champ et contre champ, sa nouvelle architecture convoque des cimes découpées, des falaises abruptes, et une nature sensible par le bois et la large végétalisation du site. Le paysage et son évocation sont partout, chaque angle de vue en dévoile un nouveau fragment, le prolonge, le souligne, lui fait place.
Pourtant, il suffit de fermer les yeux ou de détourner le regard pour que le paysage s’évanouisse ou se modifie, révélant sa nature de cosa mentale, au sens propre impalpable. Le projet Inselberg entend opérer un renversement ludique et proposer avec les artifices de l’art ce qui est a priori un non-sens : un paysage palpable. En proposant une évocation de la nature – et non sa simple reproduction – Inselberg consiste donc à introduire physiquement le paysage au sein de la cour.
Vaste fragment en trois dimensions, il se présente comme une plate-forme de plus de 300 m² implantée au cœur de l’espace stabilisé. Évoquant la nature environnante, faisant naître des montagnes sans en reproduire une en particulier, il joue sur les changements d’échelle : dérisoire à l’aune de la nature, cet îlot de bois est suffisamment vaste pour permettre une pratique « physique » du paysage. Empruntant à l’architecture, au design, Inselberg s’inspire également des modes de conception 3D propre au cyberspace, soit une construction fractale à base de triangles permettant la création harmonieuse des paysages et décors dans l’univers du jeu vidéo.
Inselberg a vocation à être habité, envahi, détourné, «squatté » par les élèves. Il y a quelque chose du « skatepark pour piétons » dans les courbes de ces bols inversés, quelque chose de l’espace à prendre, à investir. Un espace fait d’ondulations, et d’obliques, tout en fluidité et en effets de miroirs : à la fois l’île et l’horizon, à la fois le paysage et le point de vue. Lieu de vie, lieu de rencontre, mais aussi point de contact au sens strict avec l’impalpable.